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Art – Photographie
Didier Cholodnicki
La recherche de la couleur
ArtKopel vous présente le premier livre-exposition avec un travail photographique réalisé à Pondichéry par Didier Cholodnicki en 2007.
Naviguer est nécessaire, vivre ne l’est pas.
Cnaeus Pompeius Magnus
La nuit était tombée déjà depuis longtemps. Elle tombait tôt l’hiver dans cette ville grise, sous ce ciel gris. Seule la glace, qui pétrifait le Danube, se donnait quelques couleurs d’herbes sèches emprisonnées. Nous étions dans une ancienne kafana, à Belgrade.
Le poêle à bois enfumait la pièce, tant et si bien que la porte restait ouverte et qu’un courant d’air glacé nous saisissait. Des musiciens tziganes couraient le cachet de restaurant en restaurant. La guerre était finie depuis dix ans, mais rares ceux qui sortaient le soir. Nous dégustions un Riezling de Voïvodine.
Didier Cholodnicki me fit part de son désir d’aller à Pondichéry. Belgrade, nous n’avions rien à y faire ni rien à voir, que de nous sentir chez nous et à être au cœur de l’Europe de demain. Mais Pondichéry, je ne comprenais pas. Ici se montrait le temps à couler le long du Danube, de ses saules gris, quand la neige étouffe les nuages.
Pondichéry.
La recherche de la couleur. On pourrait dire une certaine palette si le terme n’était pas impropre. Les couleurs passées des bonbons, du temps où ils étaient plus rares : ceux qui avaient la forme de quartiers d’orange et de citron, la forme de violette, ou le rectangle coquelicot, avec la poussière blanche de sucre glace et leurs goûts acidulés. Et nous, enfants, nous les portions à nos yeux pour regarder à travers. Alors nous ne voyions rien d’autre que le translucide de la couleur. Instants singuliers de l’enfance, qui dévient le cours de la vie, où nous nous tenions immobiles, comme pour devenir invisibles, dans notre retrait savourant les couleurs sur la langue. Et, pendant que nous nous abandonnions au pur goût, nos yeux se perdaient dans ce qui nous entourait. Quelque chose fond... La couleur de ces bonbons est le fond de nos voyages d’enfance : un hors temps. La saveur s’infuse, ainsi la couleur dans l’image. La couleur propre du senti lointain, du temps où nous nous voulions seuls.
Pourquoi n’utilise-t-il pas les couleurs de la vie ? Comme si la vie était déjà le souvenir de la vie.
Devant ces images se distillent les couleurs dans mes yeux, de celles qui n’existent pas en Inde. A l’Orient et plus encore. Là où passent les teintes.
Pline l’Ancien nous disait l’empereur Néron regardant les spectacles au travers l’émeraude de sa bague, pour adoucir la couleur du sang.
Que cachent ses couleurs ? Les images découvrent des paysages vides, des groupes lointains, des êtres seuls. La couleur passe, au sens actif et passif. La couleur traverse l’image, et crie son effacement. Le passé de la couleur marque-t-il le manque de la couleur ? Y aurait-il un temps de la couleur ? Dans le voir, quelque chose manque. Qu’est-ce qui fait manque ? L’absence ne manque pas, l’absence est une présence plus présente que la présence même, elle restitue la présence de ce qui fait lacune, du vide dans l’étendue. L’absence, comme lieu d’un passage, est un paysage. Au photographe sa propre absence annonce à lui même la venue.
Didier Cholodnicki cherche à se mettre hors du monde, seul à seul, comme pour aller à sa rencontre plus sûrement. Le point aveugle du monde : il n’y a rien à voir à Pondichéry,
dans le vide de ce non-lieu s’apparaît le lieu, le lieu de l’image. La couleur comme fond du monde dont les personnages sont le lointain. Un tableau sans sujet. Un théâtre : la scène est là, le décor est monté, les figurants sont en place. Tout est prêt pour que rien ne commence. L’humain devient l’inaccessible lointain de ce monde. L’advenir est ce qui ne viendra pas. Là d’où il est, il ne peut oublier le tribut qu’il paie à la solitude. Traverser le monde pour apparaître.
Il y avait à Argos un homme, de bonne naissance, nous raconte Horace, qui croyait entendre de merveilleux tragédiens dans le théâtre vide où il venait chaque jour, s’asseoir et applaudir...
Arthur Kopel